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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/173

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change rien à rien. On a tué le Christ, par colère, parce qu’il n’était que Dieu.

Si je pensais que Dieu m’envoie la douleur par un acte de sa volonté et pour mon bien, je croirais être quelque chose, et je négligerais l’usage principal de la douleur, qui est de m’apprendre que je ne suis rien. Il ne faut donc rien penser de semblable. Mais il faut aimer Dieu à travers la douleur.

Je dois aimer être rien. Comme ce serait horrible si j’étais quelque chose. Aimer mon néant, aimer être néant. Aimer avec la partie de l’âme qui est située de l’autre côté du rideau, car la partie de l’âme qui est perceptible à la conscience ne peut pas aimer le néant, elle en a horreur. Si elle croit l’aimer, ce qu’elle aime est autre chose que le néant.

Dieu envoie le malheur indistinctement aux méchants comme aux bons, ainsi que la pluie et le soleil. Il n’a pas réservé la croix au Christ. Il n’entre en contact avec l’individu humain comme tel que par la grâce purement spirituelle qui répond au regard tourné vers lui, c’est-à-dire dans la mesure exacte où l’individu cesse d’en être un. Aucun événement n’est une faveur de Dieu, la grâce seule.

La communion est bonne aux bons et mauvaise aux mauvais. Ainsi les âmes damnées sont au paradis, mais pour elles le paradis est enfer.