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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/201

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L’ANNEAU DE GYGÈS

Les autres civilisations. On en donne les tares comme preuve de l’insuffisance des religions auxquelles elles sont suspendues. Pourtant, dans l’Europe, au cours des vingt derniers siècles d’histoire, on trouverait sans peine des tares au moins équivalentes. La destruction de l’Amérique par le massacre et de l’Afrique par l’esclavage, les massacres du Midi de la France, cela vaut bien l’homosexualité en Grèce ou les rites orgiaques en Orient. Mais on dit qu’en Europe il y a eu ces tares malgré la perfection du christianisme et dans les autres civilisations à cause de l’imperfection de la religion.

Exemple privilégié, à contempler longtemps, du mécanisme de l’erreur. Mettre à part. En appréciant l’Inde ou la Grèce, on met le mal en relation avec le bien. En appréciant le christianisme, on met le mal à part. [1]

On met à part sans le savoir, là précisément est le danger. Ou, ce qui est pire encore, on met à part par un acte de volonté, mais par un acte de

  1. Simone Weil illustre ici une vérité profonde à l’aide d’un exemple assez mal choisi. Quand un chrétien (par exemple un Inquisiteur) se comporte avec cruauté, il est bien permis de constater qu’il agit ainsi malgré sa religion, puisque celle-ci commande avant tout la charité. Mais quand un nazi agit de même, il est licite d’attribuer (au moins en partie) sa conduite à sa doctrine, puisque celle-ci légitime la cruauté. (Note de l’Éditeur.)