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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/205

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rapport à sa main. Il n’a réellement plus sa sensibilité dans sa main, mais au bout du bâton. Il y faut un apprentissage.

Restreindre son amour au sujet pur et l’étendre à tout l’univers, c’est la même chose.

Changer le rapport entre soi et le monde comme, par l’apprentissage, l’ouvrier change le rapport entre soi et l’outil. Blessure : c’est le métier qui rentre dans le corps. Que toute souffrance fasse rentrer l’univers dans le corps.

Habitude, habileté : transport de la conscience dans un objet autre que le corps propre.

Que cet objet soit l’univers, les saisons, le soleil, les étoiles.

Le rapport entre le corps et l’outil change dans l’apprentissage. Il faut changer le rapport entre le corps et le monde.

On ne se détache pas, on change d’attachement. S’attacher à tout.

À travers chaque sensation, sentir l’univers. Qu’importe alors que ce soit plaisir ou douleur ? Si on a la main serrée par un être aimé, revu après longtemps, qu’importe qu’il serre fort et fasse mal ?

Un degré de douleur où l’on perd le monde. Mais après, l’apaisement vient. Et si le paroxysme revient, l’apaisement revient ensuite aussi. Ce degré même, si on le sait, devient attente de l’apaisement, et par suite ne coupe pas le contact avec le monde.

Deux tendances limites : détruire le moi au profit de l’univers ou détruire l’univers au profit du moi. Celui qui n’a pas su devenir rien court le risque d’arriver a un moment où toutes choses autres que lui cessent d’exister.