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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/243

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L’idée-athée par excellence est l’idée de progrès, qui est la négation de la preuve ontologique expérimentale, car elle implique que le médiocre peut de lui-même produire le meilleur. Or toute la science moderne concourt à la destruction de l’idée du progrès. Darwin a détruit l’illusion du progrès interne qui se trouvait dans Lamarck. La théorie des mutations ne laisse subsister que le hasard et l’élimination. L’énergétique pose que l’énergie se dégrade et ne monte jamais, et cela s’applique même à la vie végétale et animale.

La psychologie et la sociologie ne seront scientifiques que par un usage analogue de la notion d’énergie, usage incompatible avec toute idée de progrès, et alors elles resplendiront de la lumière de la vraie foi.

L’éternel seul est invulnérable au temps. Pour qu’une œuvre d’art puisse être admirée toujours, pour qu’un amour, une amitié puissent durer toute une vie (même durer purs toute une journée peut-être), pour qu’une conception de la condition humaine puisse demeurer la même à travers les multiples expériences et les vicissitudes de la fortune — il faut une inspiration qui descende de l’autre côté du ciel.

Un avenir tout à fait impossible, comme l’idéal des anarchistes espagnols, dégrade beaucoup moins, diffère beaucoup moins de l’éternel qu’un avenir possible. Il ne dégrade même pas du tout, sinon par l’illusion de la possibilité. S’il est conçu