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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/117

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comme étant ce que j’attendais. Fait quotidien, et mystère insondable.

Nous n’avons naturellement la notion que des réalités de ce monde. Le passé est du réel à notre niveau, mais qui n’est aucunement à notre portée, vers lequel nous ne pouvons pas faire même un pas, vers lequel nous pouvons seulement nous orienter pour qu’une émanation de lui vienne à nous.

C’est pourquoi le passé est la meilleure image des réalités éternelles, surnaturelles. (La joie, la beauté du souvenir tient peut-être à cela.) Proust avait entrevu cela.

Cette comparaison peut faire saisir le rapport entre des choses sensibles, particulières, et l’éternel. Pour le passé, il existe des objets présents qu’on nomme des souvenirs — une lettre, une bague, etc., parce qu’ils constituent pour l’âme un contact avec le passé, un contact réel. Les sacrements…]


[Voici maintenant l’usage de la folie de l’amour (c’est l’expression de Platon) pour le salut. Il s’agit d’un amour qui se produit d’abord comme amour charnel. Mais il s’agit surtout de la grâce qui vient par l’effet de la beauté, et on peut transposer pour toute espèce de beauté sensible.]


« Comme il a été dit, toute âme d’homme du fait de son essence (φύσει) a contemplé la réalité, sans quoi elle n’entrerait pas dans un être humain. Mais il n’est pas facile pour toute âme de se souvenir des choses de là-bas, soit qu’étant là-bas elle ne les ait vues que peu de temps, soit qu’une fois tombée ici il lui soit arrivé malheur ; par exemple le malheur d’être tournée vers l’injustice par certaines fréquentations, ce qui lui fait oublier les choses saintes qu’elle a vues autrefois[1]. »


[L’oubli ; encore une image d’une profondeur insondable. Ce que nous avons oublié de notre passé — ex. une émotion — n’existe absolument pas. Et

  1. Phèdre, 249 e-250 a.