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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/31

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déterminer la conduite de la vie, n’ont plus qu’un emploi servile dans la technique. Nous ne sommes géomètres que devant la matière ; les Grecs furent d’abord géomètres dans l’apprentissage de la vertu.

La marche de la guerre, dans l’Iliade, ne consiste qu’en ce jeu de bascule. Le vainqueur du moment se sent invincible, quand même il aurait quelques heures plus tôt éprouvé la défaite ; il oublie d’user de la victoire comme d’une chose qui passera. Au bout de la première journée de combat que raconte l’Iliade, les Grecs victorieux pourraient sans doute obtenir l’objet de leurs efforts, c’est-à-dire Hélène et ses richesses ; du moins si l’on suppose, comme fait Homère, que l’armée grecque avait raison de croire Hélène dans Troie. Les prêtres égyptiens, qui devaient le savoir, affirmèrent plus tard à Hérodote qu’elle se trouvait en Égypte. De toutes manières, ce soir-là, les Grecs n’en veulent plus :


« Qu’on n’accepte à présent ni les biens de Pâris,
Ni Hélène ; chacun voit, même le plus ignorant,
Que Troie est à présent sur le bord de la perte. »
Il dit ; tous acclamèrent parmi les Achéens.


Ce qu’ils veulent, ce n’est rien de moins que tout. Toutes les richesses de Troie comme butin, tous les palais, les temples et les maisons comme cendres, toutes les femmes et tous les enfants comme esclaves, tous les hommes comme cadavres. Ils oublient un détail ; c’est que tout n’est pas en leur pouvoir ; car ils ne sont pas dans Troie. Peut-être ils y seront demain ; peut-être ils n’y seront pas.

Hector, le même jour, se laisse aller au même oubli :


Car je sais bien ceci dans mes entrailles et dans mon cœur ;
Un jour viendra où périra la sainte Ilion,
Et Priam, et la nation de Priam à la bonne lance.
Mais je pense moins à la douleur qui se prépare pour les Troyens,
Et à Hécube elle-même, et à Priam le roi,