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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/35

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pensée politique qui conseille l’excès. C’est la tentation de l’excès qui est presque irrésistible. Des paroles raisonnables sont parfois prononcées dans l’Iliade ; celles de Thersite le sont au plus haut degré. Celles d’Achille irrité le sont aussi :


Rien ne me vaut la vie, même tous les biens qu’on dit
Que contient Ilion, la cité si prospère
Car on peut conquérir les bœufs, les gras moutons
Une vie humaine, une fois partie, ne se reconquiert plus.


Mais les paroles raisonnables tombent dans le vide. Si un inférieur en prononce, il est puni et se tait ; si c’est un chef, il n’y conforme pas ses actes. Et il se trouve toujours au besoin un dieu pour conseiller la déraison. À la fin l’idée même qu’on puisse vouloir échapper à l’occupation donnée par le sort en partage, celle de tuer et de mourir, disparaît de l’esprit :


nous à qui Zeus
Dès la jeunesse a assigné, jusqu’à la vieillesse, de peiner
Dans de douloureuses guerres, jusqu’à ce que nous périssions jusqu’au dernier.


Ces combattants déjà, comme si longtemps plus tard ceux de Craonne, se sentaient « tous condamnés ».

Ils sont tombés dans cette situation par le piège le plus simple. Au départ, leur cœur est léger comme toujours quand on a pour soi une force et contre soi le vide. Leurs armes sont dans leurs mains ; l’ennemi est absent. Excepté quand on a l’âme abattue par la réputation de l’ennemi, on est toujours beaucoup plus fort qu’un absent. Un absent n’impose pas le joug de la nécessité. Nulle nécessité n’apparaît encore à l’esprit de ceux qui s’en vont ainsi, et c’est pourquoi ils s’en vont comme pour un jeu, comme pour un congé hors de la contrainte quotidienne.


Où sont parties nos vantardises, quand nous nous affirmions si braves,
Celles qu’à Lemnos vaniteusement vous déclamiez,