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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/63

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quels mots impossibles
me viennent ! Contraindre ma parole, je ne peux plus.


Et : Ah ! ce n’est pas pour une jeune fille, cette misère où tu vis (la jeune fille étant classiquement le symbole de l’âme). Et : C’est que je ne savais encore rien de mon malheur. Et les répliques : Pour te défendre, pour s’y opposer, il n’y a personne ? — Non, assurément ; celui que j’avais, tu me l’apportes comme cendre. Et quand Électre dit : Tu es le seul être, sache-le, qui m’ait jamais prise en pitié, la réponse : C’est que seul je suis présent à la souffrance de ton malheur. Et : Un vivant n’a pas de tombeau. Et : Nul mensonge en mes paroles. Et : Connais si ma parole est certaine. Et le dialogue sublime en trois vers où Électre s’émerveille successivement de la présence du bien — aimé aux trois sens, vue, ouïe et toucher. Les répliques d’Oreste : Bien-aimée, j’en suis témoin ; Plus jamais ailleurs n’interroge ; Ainsi désormais aie-moi toujours, n’ont de sens que de la part de Dieu. Les paroles d’Électre : Qui avait trouvé moyen d’être mort, qui a trouvé moyen d’être sauvé (encore le mot mêchanê) sont claires jusqu’à l’évidence.

Électre est obligée d’étendre le détachement à l’extrême limite, jusqu’à faire violence à son amour même pour Oreste, avant qu’Oreste se révèle à elle. Elle doit lâcher l’urne.

Avant qu’Oreste ne commence à parler, quand Électre croit que rien de ce qu’elle aime n’existe plus, qu’il n’existe au monde que ses ennemis, qui sont en même temps ses maîtres, elle ne songe pas un instant à pactiser, à se les concilier. Son unique pensée, c’est, puisque ce qu’elle aime est dans le néant, d’aller elle aussi dans le néant par la mort, elle qui encore vivante se sent déjà néant. La croyance en apparence certaine que ce qu’elle aime n’existe absolument pas ne diminue aucunement son amour, mais au contraire l’augmente. C’est cette espèce de folie dans la fidélité qui contraint Oreste à se révéler. Il ne peut plus s’en empêcher ; la compassion est plus forte que lui.