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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/69

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toi qui séjournes
sur les joues délicates des jeunes filles !
Tu t’en vas par-delà les mers.
Tu entres dans les étables des paysans.
Nul ne t’échappe, ni parmi les dieux immortels,
ni parmi les hommes qui ne vivent qu’un jour !
Et quiconque aime est fou.


À ce moment apparaît Antigone, amenée par le roi. Il la tient par les mains, il la traîne à la mort. On ne la tuera pas, car les Grecs croyaient que cela portait malheur de verser le sang d’une jeune fille ; mais on fera pire. On va l’enterrer vivante. On va la mettre dans une caverne et murer la caverne, pour qu’elle y agonise lentement dans les ténèbres, affamée et asphyxiée. Elle n’en a plus que pour quelques instants. À présent qu’elle se trouve au seuil même de la mort, et d’une mort si atroce, la fierté qui la soutenait se brise. Elle pleure.


Tournez les yeux vers moi, citoyens de ma patrie.
Je parcours ma dernière route.
Je vois les derniers rayons du soleil.
Je n’en verrai jamais d’autres.


Elle n’entend aucune bonne parole. Ceux qui se trouvent là se gardent bien, en présence du roi, de lui donner des marques de sympathie ; ils se contentent de lui rappeler froidement qu’elle aurait mieux fait de ne pas désobéir. Le roi, sur le ton le plus brutal, lui donne l’ordre de se hâter. Mais elle ne peut pas se résoudre encore au silence :


Voici qu’on m’entraîne en me prenant par les mains,
moi vierge, moi sans époux, moi qui n’ai eu ma part
ni du mariage, ni de la nourriture des enfants.
Abandonnée comme me voilà, sans aucun ami, hélas !
je vais entrer toute vivante dans la fosse des morts.
Quel crime est-ce que j’ai donc commis devant Dieu ?
Pourquoi faut-il encore, malheureuse, que je tourne mes regards