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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/84

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C’est parce que ceux qu’on juge sont jugés vêtus ; car ils sont jugés vivants. Or beaucoup de ceux qui ont des âmes criminelles sont vêtus de beaux corps, de noblesse, de richesse ; et quand le jugement a lieu, beaucoup de témoins les accompagnent pour témoigner qu’ils ont vécu justement. Tout cela fait impression sur les juges. Et de plus, eux aussi jugent vêtus. Les yeux, les oreilles, tout leur corps est un voile devant leur âme. Tout cela se met devant eux, leurs propres vêtements et ceux des accusés. D’abord donc il faut que les hommes ne connaissent plus à l’avance l’heure de leur mort ; à présent ils la connaissent. Qu’on dise à Prométhée qu’il y mette fin. Puis il faut qu’ils soient nus au jugement, tous ceux-là, il faut donc qu’ils soient jugés morts. Le juge aussi doit être nu, il doit être mort, par l’âme elle-même il doit contempler l’âme elle-même de chacun aussitôt après la mort, abandonnée de tous ses proches et ayant laissé sur terre toute la parure d’ici-bas, afin que le jugement soit juste. Moi, sachant ces choses avant vous, j’ai choisi pour juges mes fils …, et quand ils seront morts ils jugeront dans la prairie, dans le carrefour d’où partent les deux routes, celle qui va aux îles bienheureuses, celle qui va au Tartare ».

La mort à mon avis n’est pas autre chose que la séparation de deux choses, l’âme et le corps ; et quand elles sont séparées, chacune est à peu près dans le même état que quand l’homme vivait… Si quelqu’un … avait le corps grand … son cadavre est grand … et ainsi du reste. S’il avait vivant sur le corps des traces de coups de fouet, des cicatrices de coups et de blessures, on voit tout cela aussi sur son corps quand il est mort. Il me semble qu’il en est de même pour l’âme. Toutes choses dans l’âme deviennent apparentes quand elle est nue et dépouillée du corps, les dispositions naturelles et les effets que l’âme subit du fait de chaque attachement à un objet. Quand on arrive devant le tribunal … [le juge] contemple l’âme de chacun sans savoir à qui elle appartient, mais souvent, saisissant celle du grand roi ou d’un autre roi ou d’un autre puissant, il voit qu’à cause de ses parjures et de ses injustices elle est pleine des coups de fouet et des cicatrices qu’y ont imprimés chaque action, que tout y