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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/207

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Ou bien, être révolutionnaire, est-ce appeler par ses vœux et aider par ses actes tout ce qui peut, directement et indirectement, alléger ou soulever le poids qui écrase la masse des hommes, les chaînes qui avilissent le travail, refuser les mensonges au moyen desquels on veut déguiser ou excuser l’humiliation systématique du plus grand nombre ? Dans ce cas il s’agit d’un idéal, d’un jugement de valeur, d’une volonté, et non pas d’une interprétation de l’histoire humaine et du mécanisme social. L’esprit révolutionnaire, pris en ce sens, est aussi ancien que l’oppression elle-même et durera autant qu’elle, plus longtemps même, car, si elle disparaît, il devra subsister pour l’empêcher de reparaître ; il est éternel ; il n’a pas à subir de révision, mais il peut s’enrichir, s’aiguiser, et il doit être purifié de tous les apports étrangers qui peuvent venir le déguiser et l’altérer. Cet éternel esprit de révolte qui animait les plébéiens de Rome, qui enflammait presque simultanément, vers la fin du xive siècle, les ouvriers de la laine à Florence, les paysans anglais, les artisans de Gand, qu’a-t-il à prendre, pour se l’assimiler, dans l’œuvre de Marx ? Il a à y prendre ce qui a été précisément presque oublié par ce qu’on nomme le marxisme : la glorification du travail productif, conçu comme l’activité suprême de l’homme ; l’affirmation que seule une société où l’acte du travail mettrait en jeu toutes les facultés de l’homme, où l’homme qui travaille serait au premier rang, réaliserait la plénitude de la grandeur humaine. On trouve chez Marx, dans les écrits de jeunesse, des lignes d’accent lyrique concernant le travail ; on en trouve aussi chez Proudhon ; on en trouve aussi chez des poètes, chez Gœthe, chez Verhaeren. Cette poésie nouvelle, propre à notre temps, et qui en fait peut-être la principale grandeur, ne doit pas se perdre. Les opprimés doivent y trouver l’évocation de leur patrie à eux, qui est une espérance.

Mais par ailleurs le marxisme a gravement altéré