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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/22

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a jamais existé sur la surface de la terre, sinon quelques semaines à Paris, en 1871, et quelques mois peut-être en Russie, en 1917 et 1918. En revanche règne sur un sixième du globe, depuis près de quinze ans, un État aussi oppressif que n’importe quel autre et qui n’est ni capitaliste ni ouvrier. Certes Marx n’avait rien prévu de semblable. Mais Marx non plus ne nous est pas aussi cher que la vérité.

L’autre phénomène capital de notre époque, je veux dire le fascisme, ne rentre pas plus aisément que l’État russe dans les schémas du marxisme classique. Là-dessus aussi, bien entendu, il existe des lieux communs propres à sauver de la pénible obligation de réfléchir. Comme l’U.R.S.S. est un « État ouvrier » plus ou moins « déformé », le fascisme est un mouvement des masses petites-bourgeoises, reposant sur la démagogie, et qui constitue « la dernière carte de la bourgeoisie avant le triomphe de la révolution ». Car la dégénérescence du mouvement ouvrier a amené les théoriciens à représenter la lutte des classes comme un duel, ou un jeu entre partenaires conscients, et chaque événement social ou politique comme une manœuvre de l’un des partenaires ; conception qui n’a pas plus de rapports avec le matérialisme que la mythologie grecque. Il existe des cercles restreints de grands financiers, de grands industriels, de politiciens réactionnaires qui défendent consciemment ce qu’ils pensent être les intérêts politiques de l’oligarchie capitaliste ; mais ils sont bien incapables aussi bien d’empêcher que de susciter un mouvement de masses comme le fascisme, ou même de le diriger. En fait, ils l’ont tantôt aidé, tantôt combattu, ont tenté vainement de s’en faire un instrument docile et ont fini par capituler eux-mêmes devant lui. Certes c’est la présence d’un prolétariat exaspéré qui fait pour eux de cette capitulation un moindre mal. Néanmoins le fascisme est tout autre chose qu’une carte entre leurs mains. La brutalité avec