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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/238

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Encyclopédistes, qui trouvaient moyen d’être athées sans être matérialistes. Ils étaient athées, non pas simplement en ce sens qu’ils excluaient plus ou moins nettement la notion d’un Dieu personnel, ce qui est le cas pour certaines sectes bouddhistes qui malgré cela se sont élevées jusqu’à la vie mystique, mais en ce sens qu’ils excluaient tout ce qui n’est pas de ce monde. Ils croyaient, les naïfs, que la justice est de ce monde. C’est là l’illusion extrêmement dangereuse enfermée dans ce qu’on nomme les principes de 1789, la foi laïque, et ainsi de suite.

Parmi toutes les formes de matérialisme, l’œuvre de Marx contient une indication extrêmement précieuse, quoiqu’il n’en ait guère fait un usage réel, et ses adhérents encore bien moins. C’est la notion de matière non physique. Marx, regardant avec raison la société comme étant en ce monde le fait humain primordial, n’a fait attention qu’à la matière sociale ; mais on peut considérer de même, en second lieu, la matière psychologique ; il y a plusieurs courants en ce sens dans la psychologie moderne, quoique, sauf erreur, la notion n’en ait pas été formulée. Un certain nombre de préjugés courants empêche qu’elle le soit.

L’idée est celle-ci ; elle est indispensable à toute doctrine solide ; elle est centrale. Il y a sous tous les phénomènes d’ordre moral, soit collectifs, soit individuels, quelque chose d’analogue à la matière proprement dite. Quelque chose d’analogue ; non pas la matière elle-même. C’est pourquoi les systèmes que Marx classait dans ce qu’il nommait le matérialisme mécanique, avec une nuance de mépris justifié, systèmes qui cherchent à expliquer toute la pensée humaine par un mécanisme physiologique, ne sont que niaiserie. Les pensées sont soumises à un mécanisme qui leur est propre. Mais c’est un mécanisme. Quand nous pensons la matière, nous pensons un système mécanique de forces soumises à une aveugle et rigoureuse nécessité. Il en est de même