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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/241

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par poser la réalité d’une matière sociale, d’une nécessité sociale, dont il faut au moins entrevoir les lois avant d’oser penser aux destinées du genre humain.

Cette idée était originale par rapport à son temps ; mais absolument parlant elle ne l’est pas. D’ailleurs il est probable qu’aucune vérité n’est vraiment originale. Élaborer une mécanique des rapports sociaux a été très probablement la véritable intention de Machiavel, qui était un grand esprit. Mais bien plus anciennement Platon a eu constamment présente à la pensée la réalité de la nécessité sociale.

Platon sentait surtout très vivement que la matière sociale est un obstacle infiniment plus difficile à franchir que la chair proprement dite entre l’âme et le bien. C’est aussi la pensée chrétienne. Saint Paul dit qu’il n’y a pas à lutter contre la chair, mais contre le diable ; et le diable est chez lui dans la matière sociale, puisqu’il a pu dire au Christ, en lui montrant les royaumes de ce monde : « Je te donnerai toute cette puissance et la gloire qui lui est attachée, car elles m’ont été abandonnées. » Aussi est-il nommé le Prince de ce monde. Puisqu’il est le père du mensonge, c’est donc que la matière sociale est le milieu de culture et de prolifération par excellence pour le mensonge et l’erreur. Telle est bien la pensée de Platon. Il comparait la société à un gigantesque animal que les hommes sont contraints de servir et dont ils étudient les réflexes pour en tirer leurs convictions concernant le bien et le mal. Le christianisme a gardé cette image. La bête de l’Apocalypse est sœur de celle de Platon.

La pensée centrale, essentielle de Platon, qui est elle aussi une pensée chrétienne, c’est que tous les hommes sont absolument incapables d’avoir sur le bien et le mal d’autres opinions que celles dictées par les réflexes de l’animal, excepté les âmes prédestinées qu’une grâce surnaturelle tire vers Dieu.

Il n’a pas beaucoup développé cette pensée, quoi-