Aller au contenu

Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de révolution, il n’y en a peut-être pas deux qui attribuent à ce terme le même contenu. Et cela n’a rien d’étonnant. Le mot de révolution est un mot pour lequel on tue, pour lequel on meurt, pour lequel on envoie les masses populaires à la mort, mais qui n’a aucun contenu.

Peut-être cependant peut-on donner un sens à l’idéal révolutionnaire, sinon en tant que perspective possible, du moins en tant que limite théorique des transformations sociales réalisables. Ce que nous demanderions à la révolution, c’est l’abolition de l’oppression sociale ; mais pour que cette notion ait au moins des chances d’avoir une signification quelconque, il faut avoir soin de distinguer entre oppression et subordination des caprices individuels à un ordre social. Tant qu’il y aura une société, elle enfermera la vie des individus dans des limites fort étroites et leur imposera ses règles ; mais cette contrainte inévitable ne mérite d’être nommée oppression que dans la mesure où, du fait qu’elle provoque une séparation entre ceux qui l’exercent et ceux qui la subissent, elle met les seconds à la discrétion des premiers et fait ainsi peser jusqu’à l’écrasement physique et moral la pression de ceux qui commandent sur ceux qui exécutent. Même après cette distinction, rien ne permet au premier abord de supposer que la suppression de l’oppression soit ou possible ou même seulement concevable à titre de limite. Marx a fait voir avec force, dans des analyses dont lui-même a méconnu la portée, que le régime actuel de la production, à savoir la grande industrie, réduit l’ouvrier à n’être qu’un rouage de la fabrique et un simple instrument aux mains de ceux qui le dirigent ; et il est vain d’espérer que le progrès technique puisse, par une diminution progressive et continue de l’effort de la production, alléger, jusqu’à le faire presque disparaître, le double poids sur l’homme de la nature et de la société. Le problème est donc bien