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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/92

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que l’oppression apparaisse seulement à partir des formes plus élevées de l’économie, c’est qu’elle les accompagne toujours. C’est donc qu’entre une économie tout à fait primitive et les formes économiques plus développées il n’y a pas seulement différence de degré, mais aussi de nature. Et en effet, si, du point de vue de la consommation, il n’y a que passage à un peu plus de bien-être, la production, qui est le facteur décisif, se transforme, elle, dans son essence même. Cette transformation consiste à première vue en un affranchissement progressif à l’égard de la nature. Dans les formes tout à fait primitives de la production, chasse, pêche, cueillette, l’effort humain apparaît comme une simple réaction à la pression inexorable continuellement exercée par la nature sur l’homme, et cela de deux manières ; tout d’abord il s’accomplit, ou peu s’en faut, sous la contrainte immédiate, sous l’aiguillon continuellement ressenti des besoins naturels ; et par une conséquence indirecte, l’action semble recevoir sa forme de la nature elle-même, à cause du rôle important qu’y jouent une intuition analogue à l’instinct animal et une patiente observation des phénomènes naturels les plus fréquents, à cause aussi de la répétition indéfinie des procédés qui ont souvent réussi sans qu’on sache pourquoi, et qui sont sans doute regardés comme étant accueillis par la nature avec une faveur particulière. À ce stade, chaque homme est nécessairement libre à l’égard des autres hommes, parce qu’il est en contact immédiat avec les conditions de sa propre existence, et que rien d’humain ne s’interpose entre elles et lui ; mais en revanche, et dans la même mesure, il est étroitement assujetti à la domination de la nature, et il le laisse bien voir en la divinisant. Aux étapes supérieures de la production, la contrainte de la nature continue certes à s’exercer, et toujours impitoyablement, mais d’une manière en apparence moins immédiate ; elle semble devenir de