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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/120

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raisonne que sur l’universel ; la science moderne a perdu son âme en voulant résoudre cette contradiction par l’artifice qui consiste à ne plus raisonner que sur des signes conventionnels, qui sont des objets particuliers en tant que marques noires sur du papier blanc, et sont universels par leur définition. L’autre solution serait l’analogie. J’entrevois ainsi une nouvelle manière de concevoir la mathématique, d’un point de vue aussi matérialiste et pour ainsi dire aussi cynique que possible, comme consistant purement et simplement en des combinaisons de signes ; mais sa valeur théorique et sa valeur pratique, qui ne seraient plus distinctes, résiderait dans des analogies, qu’il faudrait arriver à concevoir clairement et distinctement, entre ces combinaisons et les problèmes concrets auxquels on les applique dans le cours de la lutte livrée par l’homme à l’univers. Les signes seraient alors rabattus à leur rang de simples instruments, rang que Descartes essayait de leur assigner dans les Regulae. Leur véritable destination apparaîtrait, à savoir : servir non l’entendement, mais l’imagination ; et le travail scientifique apparaîtrait comme étant en somme un travail d’artiste, consistant à assouplir l’imagination. Parallèlement, il s’agirait de tirer au clair et de développer au maximum la faculté de concevoir des analogies sans manier les signes algébriques. On se trouve là dans le domaine de la perception. Seulement la perception de l’oisif, qui se meut à l’aise au milieu d’une matière que d’autres ont préparée pour la lui rendre commode, est peu de chose ; c’est à la perception de l’homme au travail qu’il faudrait s’intéresser, ce qui implique une étude approfondie des instruments de travail, non plus d’un point de vue technique, c’est-à-dire quant à leur rapport avec la