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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/136

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du travail. La notion de travail est toujours présente, puisque l’énergie se mesure toujours en distances et en poids ; et bien que la force soit une fonction de la masse et de l’accélération, et non pas quelque chose de semblable à un effort, la place tenue par l’accélération dans les formules vient de la contrainte de la pesanteur sur toute action humaine. La science du xixe siècle consista à déterminer, dans plusieurs espèces de phénomènes, des équivalences numériques avec des distances et des poids, comme fit Joule, le premier, pour la chaleur.

Elle fit autre chose encore, elle inventa une notion nouvelle en traduisant, pour l’appliquer à l’énergie, la nécessité qui, avec celle de travailler, pèse le plus lourdement sur la vie humaine. Cette nécessité tient au temps lui-même et consiste en ce qu’il est dirigé, en sorte que, quoi qu’il arrive, le sens d’une transformation n’est jamais indifférent. Nous éprouvons cette nécessité, non seulement par la vieillesse qui nous étreint lentement et ne nous lâche jamais, mais par les événements de chaque journée. Un moment et un effort à peu près aussi petits qu’on veut peuvent suffire parfois pour jeter un livre d’une table, mélanger des papiers, tacher un vêtement, froisser du linge, brûler un champ de blé, tuer un homme. Il faut des efforts et du temps pour soulever le livre jusqu’à la table, mettre en ordre les papiers, nettoyer le vêtement, repasser le linge ; un an de peine et de soins est nécessaire pour faire apparaître une autre moisson dans le champ ; on ne ressuscite pas un homme mort, et pour faire surgir dans le monde un homme nouveau, il faut vingt années. Cette nécessité qui nous enchaîne étroitement se reflète dans la contrainte sociale, par le pouvoir qu’elle procure à ceux qui savent brûler