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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/169

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système clos. On néglige le monde, parce qu’il le faut, et, ne pouvant appliquer la mathématique aux choses à un prix moindre, on l’applique au prix d’une erreur infinie.

La mathématique même implique déjà une erreur infinie pour autant qu’elle a besoin d’objets ou d’images. Si je vois deux étoiles, je pense entre elles une droite, la plus pure possible, puisqu’elle n’est pas tracée ; mais il s’en faut que ces étoiles soient des points, elles qui sont plus grandes que notre terre. Si j’écrase de la craie sur un tableau noir, j’obtiens — puisque ici il ne peut être question de l’échelle des grandeurs — quelque chose qui diffère d’une droite autant qu’un océan tout entier, quelque chose qui diffère infiniment d’une droite. Et, cependant, quelque chose qui n’est pas sans rapport avec la droite ; le rapport consiste en ceci, que cette craie sur le tableau noir me permet d’imaginer la droite ; c’est en ce sens seulement que les figures sont les images des notions géométriques, non pas qu’elles leur ressemblent, mais pour autant qu’elles nous permettent de les imaginer. C’est cela seulement qu’on veut dire quand on dit d’un peu de craie écrasée que c’est à peu près une droite. Or, en un sens, une observation, une expérience sont exactement pour un physicien ce qu’est une figure pour un géomètre. Platon, qui savait que la droite du géomètre n’est pas celle qui est tracée, savait aussi que les astres qui décrivent des mouvements circulaires et uniformes ne sont pas ceux que nous voyons la nuit ; et Archimède, qui avait su Platon, savait certainement, sans avoir eu besoin d’observer le mouvement brownien, qu’il n’y a pas dans la nature de fluide homogène ni de fluide en repos ; il savait aussi que le fléau d’une balance est de la matière et non pas une droite. À notre