Aller au contenu

Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son dispositif expérimental pour mieux imiter le système théorique, comme un géomètre efface sa figure et la recommence avec plus de soin ; après quoi, de nouveau, il réussira ou non. Il peut aussi juger son système impossible à imiter avec des objets, et en donner un autre un peu différent à partir duquel il espère réussir une tentative du même genre ; et, bien entendu, il tiendra compte pour se le donner de son échec précédent. Mais l’ordre est toujours le même ; le dispositif expérimental est toujours une imitation d’un système purement théorique, et cela même au cas où, après un échec, le système a été refait d’après l’expérience. Il n’en peut être autrement ; on ne peut pas autrement penser la nécessité. Car la nécessité est essentiellement conditionnelle, et elle apparaît à l’esprit de l’homme seulement à la suite d’un petit nombre de conditions distinctes et parfaitement définies ; or c’est l’homme seul qui peut se donner à lui-même, dans son esprit, à titre d’hypothèse, un certain nombre de conditions parfaitement définies, car les conditions que le monde impose en fait à son action sont en quantité illimitée, non dénombrable, inexprimable, et c’est pourquoi il doit toujours s’attendre à être surpris. Au reste, se donner un système parfaitement clos, c’est-à-dire où l’on ne laisse rien entrer, de conditions parfaitement déterminées et en nombre fini, et chercher quelles nécessités, quelles impossibilités y apparaissent, c’est faire de la mathématique ; la méthode mathématique, à quelque objet qu’elle s’applique, n’est pas autre chose ; et par suite, dans toute la mesure où la notion de nécessité joue un rôle en physique, la physique est essentiellement l’application de la mathématique à la nature au prix d’une erreur infinie.