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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/189

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d’une naïveté qui est bien de notre époque. Tous les apports de la science à la philosophie qu’il croit discerner sont illusoires, en ce sens que ce qu’il croit nouveau ne l’est pas. La mécanique quantique a, il est vrai, achevé de délivrer la philosophie du scientisme à la mode du xixe siècle ; mais, sans l’aide des quantas, un peu d’intelligence pouvait suffire aux philosophes pour une telle délivrance.

On se doutait, avant les quantas, qu’il n’y a pas seulement de la continuité dans l’univers, mais aussi de la discontinuité ; déjà les pythagoriciens, par exemple, attachaient de l’importance aux nombres. La notion de changement qualitatif a toujours impliqué certaines actions « impossibles à représenter dans notre cadre spatio-temporel usuel ». Un physicien seul peut parler du « déterminisme apparent de l’échelle macroscopique » ; à l’échelle de nos sens, il n’y a apparence de déterminisme que dans le laboratoire. Qu’on demande à un météorologue ou à un paysan s’ils aperçoivent beaucoup de déterminisme dans les orages ou la pluie ; qu’on regarde la mer, et qu’on se demande si les formes des vagues laissent apparaître une nécessité très rigoureuse ! À vrai dire, les physiciens ont cru, au xixe siècle, qu’il n’y avait pas plus de choses dans le ciel et la terre que dans leur laboratoire ; encore faudrait-il dire, leur laboratoire au moment où une expérience réussissait. L’obsession professionnelle était leur excuse ; ceux qui, sans cette excuse, partageaient leur croyance étaient des sots. Les physiciens d’aujourd’hui n’ont plus cette illusion ; tant mieux ; mais ils ont tort de supposer que par là ils apportent quelque chose de nouveau. Le déterminisme, dit M. de Broglie, ne peut être maintenu qu’ « à titre de postulat métaphysique ». Mais il n’a jamais été autre chose pour aucun homme