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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/227

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tique, de la géométrie, de la philosophie des Grecs.

Ce qui fait l’originalité des Grecs en matière mathématique, ce n’est pas, je crois, leur refus d’admettre l’approximation. Il n’y a pas d’approximation dans les problèmes babyloniens ; et pour une raison bien simple : c’est qu’ils sont construits à partir des solutions. Ainsi on a des dizaines (ou des centaines, je ne sais plus) de problèmes du 4e degré à 2 inconnues qui ont tous la même solution. Cela montre que les Babyloniens ne s’intéressaient qu’à la méthode, et non à résoudre des problèmes réellement posés. De même, pour le problème du canal que je t’ai cité, la somme des ouvriers et des jours de travail n’est évidemment jamais donnée. Ils s’amusaient à supposer inconnu ce qui est donné, et connu ce qui ne l’est pas. C’est un jeu, évidemment, qui fait le plus grand honneur à leur sens de la « recherche désintéressée » (avaient-ils, pour les stimuler, des bourses et des médailles ?). Mais ce n’est qu’un jeu.

Ce jeu devait sembler profane aux Grecs, ou même impie ; sans quoi pourquoi n’auraient-ils pas traduit les traités d’algèbre qui devaient exister en babylonien, en même temps qu’ils les transposaient en géométrie ? L’ouvrage de Diophante aurait pu être écrit bien des siècles plus tôt. Mais les Grecs n’attachaient pas de prix à une méthode de raisonnement considérée en elle-même ; ils y attachaient du prix pour autant qu’elle permettait d’étudier efficacement des problèmes concrets ; non pas qu’ils fussent avides d’applications techniques, mais parce que leur objet unique était de concevoir de plus en plus clairement une identité de structure entre l’esprit humain et l’univers. La pureté d’âme était leur unique souci ; « imiter Dieu » en était le secret ; l’étude de la mathématique aidait à imiter Dieu pour autant qu’on regardait l’univers