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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/234

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de géométrie ? Pour n’avoir que des problèmes admettant comme solution des nombres entiers, il leur aurait suffi, comme aux Babyloniens, de construire les problèmes à partir des solutions. Je crois que l’explication ne peut être trouvée que dans une interdiction de nature philosophico-religieuse. Les jeux de ce genre devaient leur sembler impies. Car pour eux les mathématiques constituaient, non un exercice de l’esprit, mais une clef de la nature ; clef recherchée non pas en vue de la puissance technique sur la nature, mais afin d’établir une identité de structure entre l’esprit humain et l’univers. C’est ce qui est exprimé par la formule : ὁ θεὸς ἀεὶ γεωμετρεῖ. Les mathématiques étaient aux yeux des pythagoriciens (et de Platon) une condition de la plus haute vertu (et gardées secrètes à ce titre). Il est clair que l’algèbre pur n’est pas utile à cet effet. Ce qui est utile à cet effet, c’est l’étude — rigoureusement mathématique, c’est-à-dire méthodique et sans approximation — des problèmes réellement posés par le monde et l’action sur le monde. La géométrie est de la science appliquée, bien qu’il s’agisse d’une application théorique, si l’on peut s’exprimer ainsi. Et les débuts de la physique, dans Archimède, sont de même espèce : application d’une méthode mathématique à des problèmes réels au moyen d’une axiomatique.

Je crains qu’aujourd’hui on ne soit retombé à la conception babylonienne de la mathématique. Il est vrai qu’on s’occupe beaucoup d’axiomatique ; mais ne choisit-on pas les axiomes dans une certaine mesure à volonté ? Tu parles d’art et de matière dure ; mais je ne puis concevoir en quoi consiste cette matière. Les arts proprement dits ont une matière qui existe au sens physique du mot.