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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/55

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contradictions ? Il a averti lui-même ses lecteurs qu’ils n’y trouveraient pas autre chose s’ils ne faisaient que chercher à savoir son opinion sur tel ou tel sujet, le considérant du dehors et par fragments. La pensée cartésienne n’est pas telle qu’on puisse la commenter du dehors ; tout commentateur doit se faire au moins pour un moment cartésien. Mais comment être cartésien ? Être cartésien, c’est douter de tout, puis tout examiner par ordre, sans croire à rien qu’en sa propre pensée, dans la mesure où elle est claire et distincte, et sans accorder le plus petit crédit à l’autorité de qui que ce soit, et non pas même de Descartes.

Ne nous faisons donc aucun scrupule d’imiter, commentant Descartes, la ruse cartésienne. Comme Descartes, pour former des idées justes au sujet du monde où nous vivons, a imaginé un autre monde, qui commencerait par une sorte de chaos, et où tout se réglerait par figure et mouvement, de même imaginons un autre Descartes, un Descartes ressuscité. Ce nouveau Descartes n’aurait du premier ni le génie, ni les connaissances mathématiques et physiques, ni la force du style ; il n’aurait en commun avec lui que d’être un être humain, et d’avoir résolu de ne croire qu’en soi. Selon la doctrine cartésienne, cela suffit. Si Descartes ne s’est pas trompé, une réflexion semblable à partir du doute absolu doit, pourvu qu’elle soit librement conduite, coïncider au fond, en dépit de toutes les différences et même de toutes les oppositions apparentes, avec la doctrine cartésienne. Écoutons donc ce penseur fictif.