Aller au contenu

Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissance de me mouvoir, elle n’est qu’une relation entre mes désirs et les sensations qui me semblent répondre à mes désirs tant bien que mal ; ainsi, au désir d’un fruit peut répondre le fruit dans ma bouche ou seulement mon bras tendu. Mais, quand à chaque désir répondrait une jouissance, je n’exerce en désirant aucun pouvoir. Aussi le désir des ténèbres qui, devant une lumière aveuglante, ferme mes yeux, n’est-il pas plus moi que cette douleur aux yeux. Ni étrangers ni miens, les désirs, les passions, les sensations, les rêveries ne peuvent témoigner d’aucune existence, non pas même, sinon en tant que je les pense, de la mienne propre. Rien n’empêche d’en dire autant au sujet des calculs, des raisonnements, des idées. Ces pensées ne se présentent à moi ni comme les rêveries, ni comme les désirs, ni comme les choses perçues ; je ne les trouve que si je les cherche, mais alors sans pouvoir les changer, comme un trésor incorruptible qui serait caché en moi. Il n’en est pas moins vrai qu’elles ne m’apprennent rien, sinon que, moi qui les pense, je suis. Ainsi, comme il en est de la connaissance que je suis, il en est de toute connaissance. Je dois renoncer à apprendre en interrogeant mes pensées. Des choses que je pense ne peuvent auprès de moi témoigner de rien. Moi qui pense, je suis l’unique témoin. Unique témoin de mon existence propre, mais aussi, si je puis jamais connaître autre chose que moi, unique témoin de l’autre existence. Témoin suffisant. Il m’a suffi d’écarter la supposition d’une existence quelconque pour connaître aussitôt que j’existe ; j’écarte à présent la supposition de toute autre existence. Je pose qu’il n’y a que moi qui existe. Mais qui suis-je ? Une chose qui exerce ce pouvoir que je nomme pensée. Sinon par ce pouvoir librement, autrement dit réellement