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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/69

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empreinte en creux sur moi, qui me prive de la domination en me laissant la liberté. Liberté à conquérir. Il serait absurde de supposer d’un côté ma liberté intacte, et de l’autre les choses que je pense semblables, selon une parole célèbre, à des tableaux muets ; du moment que mes pensées sont autre chose que mes vouloirs, elles m’engagent. Ma croyance est engagée en effet, je ne m’en aperçois que trop à la difficulté de douter ; mais plus simplement les choses que je pense m’engagent, moi, c’est-à-dire ma volonté. Tout ce qui apparaît d’une manière ou de l’autre à mon imagination, rêves, objets ou formes, m’est rendu présent, je l’ai reconnu, par un sentiment mêlé de plaisir et de peine, c’est-à-dire par ceci, que je l’accueille et le repousse à la fois. C’est par cette répulsion et cet accueil, qui me semblent constituer l’imagination, que mes pensées m’engagent ; je ne suis libre qu’autant que je peux me dégager. Autrement dit, autant l’autre existence, par l’intermédiaire de mes pensées, peut sur moi, autant moi, par le même intermédiaire, je peux sur elle. Aussi ces pensées dont je ne puis créer une seule sont-elles toutes, depuis les rêves, les désirs, les passions jusqu’aux raisonnements, autant qu’elles dépendent de moi, signes de moi, autant qu’elles n’en dépendent pas, signes de l’autre existence. Connaître, c’est lire en une pensée quelconque cette double signification, c’est faire apparaître en une pensée l’obstacle, en reconnaissant dans cette pensée ma propre puissance ; non pas un fantôme de puissance comme ce pouvoir surnaturel que je crois parfois posséder dans mes rêves, mais cette même puissance qui me fait être, que je connais mienne depuis que je sais que, du moment que je pense, je suis. Je peux aussi bien dire que sont vraies toutes