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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/79

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qui interrogeaient à Delphes ce point de rencontre des choses et d’un esprit, en la personne d’une femme qu’ils pensaient vraisemblablement avoir réduite à n’être plus autre chose. Moi qui ne veux croire qu’en moi, je ne consulterai qu’en moi aussi ce lien d’action et de réaction entre le monde et ma pensée, que, par opposition à l’entendement, nom de moi qui pense, et à la sensibilité, mon nom en tant que je subis, je nommerai imagination. L’imagination sera désormais ma seule institutrice, elle qui est seule cause de toutes mes incertitudes et de toutes mes erreurs. Car l’entendement ne peut me tromper, d’autant que par lui-même il ne m’apprend rien, sinon : Je pense, donc je suis, et les impressions des sens ne peuvent me tromper, puisqu’il est toujours vrai que je sens ce que je sens. Si je n’étais qu’entendement et sensibilité, je saurais que je vois un éclair, que j’entends le tonnerre, à peu près comme je sais que les paroles que l’art muet me présente sur un écran sont prononcées par une voix d’homme ou de femme. Mes impressions, mes pensées, seraient sans mélange les unes des autres, et je n’aurais, hors de la certitude que je suis, ni opinions, ni croyances, ni préjugés, ni passions ; je jouirais d’une sagesse négative, mais parfaite. Je serais toujours comme on est au spectacle quand la mise en scène est mauvaise, et que la tempête, l’émeute ou la bataille sont ridiculement imitées. Mais cette supposition est absurde, tant elle est contraire à la réalité, car les impressions des sens ne parviennent à ma pensée qu’en la troublant, et, loin d’être un entendement auquel des sens sont ajoutés comme des téléphonistes à un état-major, je ne suis d’abord qu’imagination. De ce que le tonnerre éclate, il s’ensuit, non que je prends connaissance d’un son, mais que l’acte par