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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/90

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est indifférent à tout. S’il est cause qu’en ma pensée autant qu’elle lui est jointe, rien n’est immédiat, c’est parce qu’en lui tout est immédiat. Bref ce qui n’est pas à moi dans le mouvement, c’est le fait, non pas qu’il est dirigé, mais qu’il s’étend ; et ce qui соnstitue le monde, c’est l’étendue. Et l’on ne peut pas dire que le monde soit défini ainsi seulement en tant qu’il me fait obstacle, et par suite seulement par rapport à moi. Si le monde me fait obstacle, c’est autant qu’étant joint à la pensée, la pensée doit se conformer au monde, en suivre la nature propre qui n’a point de rapport avec l’esprit. Ce qui dans le monde me fait obstacle, c’est le monde. Le monde est ce qu’il est, il ne se modèle pas sur la pensée en s’unissant à elle, et c’est en quoi il l’empêche. Ainsi je puis dire que le monde, en soi-même, n’est autre chose qu’une substance étendue. Les idées géométriques et physiques, en attribuant au monde des lignes et des mouvements dirigés, non seulement vont plus loin que ce que je puis savoir, mais même elles sont fausses. Est-ce à dire qu’elles ne me font rien connaître ? On peut dire qu’à proprement parler elles ne peuvent rien me faire connaître, puisque je sais tout quand je sais que le monde, c’est l’étendue. Mais elles ne laissent pas pourtant de m’instruire, non en tant que je suis entendement, mais en tant que je suis aussi imagination. En ces impressions où je commence par lire des pensées qui me sont étrangères, des pensées cachées, ces théories m’aident à supposer que le texte véritable est l’étendue.

Cette sagesse est-elle la dernière sagesse ? Ne puis-je jamais que supposer l’étendue ? Ce serait une sagesse bien incomplète, bien maigre, toute négative, de pure défiance. Car, tandis que la folle imagination fait que je crois voir, dans les sensa-