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Page:Wharton - Sous la neige, 1923.djvu/134

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— Vous laissez refroidir le souper, lui rappela-t-elle avec un pâle sourire.

— Mattie, Mattie… où irez-vous ?

Les yeux de la jeune fille s’abaissèrent à nouveau, et une lueur d’inquiétude traversa son visage. Ethan s’aperçut que pour la première fois la pensée de l’avenir se dressait devant elle.

— Je trouverai quelque travail à Stamford, dit-elle d’une voix mal assurée, comme si elle savait qu’Ethan devinait qu’elle n’en gardait guère l’espoir.

Il se laissa retomber sur sa chaise, et se cacha la tête dans les mains. À l’idée qu’elle s’en irait toute seule à la recherche d’une place, le désespoir s’empara de lui. Dans l’unique endroit où elle était connue, elle ne trouverait qu’indifférence ou animosité, et dans d’autres villes, quelle chance avait-elle de se tirer seule d’affaire, sans expérience, sans entraînement, parmi les millions de pauvres gens à l’affût d’ouvrage ? Il se souvint de tristes histoires entendues naguère à Worcester… il revit les visages flétris de certaines jeunes filles dont la première jeunesse avait été aussi protégée que celle de Mattie… Il ne pouvait y songer sans une révolte de tout son être. Brusquement, il se redressa.

— Vous ne pouvez pas partir, Mattie ! Je ne le permettrai pas ! Elle a toujours fait à sa guise, mais cette fois ce sera mon tour…