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ESCALADES DANS LES ALPES.

cultés lui paraissent au-dessus de ses forces et lui offrirent des dangers réels. Si la ligne qui sépare la difficulté du danger est quelquefois presque insaisissable, elle n’est point du tout imaginaire. C’est une ligne véritable, sans la moindre étendue. Il est souvent facile de la dépasser et très-difficile de l’apercevoir. Parfois on la dépasse sans s’en douter et on le reconnaît trop tard. Tant qu’on n’entreprend rien qui soit au-dessus de ses forces, on ne s’expose pas à franchir cette ligne, ni par conséquent à se trouver dans une situation très-dangereuse, bien qu’elle puisse devenir très-difficile. Ce qu’il est au pouvoir d’un homme d’exécuter varie naturellement en raison du temps qu’il a à dépenser, de l’endroit où il se trouve et d’une foule de circonstances ; mais je pose en principe qu’on peut toujours très-bien savoir ce qu’on est encore capable de faire ; et s’il est très-difficile en pareil cas de déterminer pour un autre, même approximativement, quelles sont les limites qu’il est prudent de ne pas dépasser, on peut sans peine se les fixer à soi-même. Toutefois, selon moi, quand la ligne douteuse est dépassée sciemment et volontairement, on cesse de faire ce qui est raisonnable pour tenter ce qui ne l’est pas.

Je m’attends à la question que vont m’adresser tous les critiques intelligents : « Avez-vous réellement la prétention d’affirmer que les dangers des courses de montagnes ne consistent que dans les difficultés extraordinaires, et que le parfait montagnard ne s’expose absolument à aucun risque ? » Je ne suis pas préparé à soutenir une pareille thèse, car il y a un péril auquel les grimpeurs des Alpes sont inévitablement exposés, et qui ne menace jamais les piétons dans les rues de Londres. Je veux parler des rochers qui tombent des montagnes ; et je tâcherai, dans le courant de ce volume, de faire comprendre au lecteur que c’est un danger très réel, contre lequel le courage, l’adresse et la force sont complétement inutiles. Il se présente au moment où l’on s’en inquiète le moins et presque partout. Le critique peut répondre : « Il vous suffit d’admettre ce danger pour détruire tout le reste de votre argument. » J’en conviens avec lui, il aurait raison si ce danger menaçait toujours