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ESCALADES DANS LES ALPES.

nous aider à escalader les endroits les plus escarpés[1]. J’espérais aussi que pendant ce temps Carrel satisferait sa passion pour la chasse à la marmotte et qu’il daignerait encore nous accompagner.

Nous descendîmes très-vite, car la montagne nous était devenue familière et nous savions d’avance quand il fallait nous entraider ou nous abandonner à nos propres forces. Les rochers étaient entièrement débarrassés de verglas. Meynet se montrait toujours le plus gai de nous deux dans les passages difficiles, et, dans les passages dangereux, il se donnait du courage en répétant : « Après tout, on ne meurt qu’une fois. » Pensée consolante qui semblait lui procurer une satisfaction infinie. Nous arrivâmes d’assez bonne heure dans la soirée à l’auberge du Breuil, et mes projets y furent brusquement renversés de la façon la plus inattendue.

Le professeur Tyndall, arrivé pendant mon absence, avait engagé César et Jean-Antoine Carrel, ainsi que Bennen et un Valaisan de ses amis, homme très-robuste et très-actif, nommé Antoine Walter. Leur échelle et leurs provisions étaient toutes prêtes et ils avaient l’intention de partir le lendemain matin (dimanche). Cette nouvelle expédition me prit au dépourvu. Bennen, on doit se le rappeler, avait refusé carrément, en 1864, de conduire le professeur Tyndall sur le Cervin. « Il refusait obstinément de faire aucune tentative pour escalader la montagne, » dit Tyndall. Maintenant il était plein d’ardeur pour le départ. Le professeur Tyndall n’a pas expliqué comment s’était opérée cette révolution dans l’esprit de son guide. J’étais également étonné du manque de foi de Carrel et je l’attribuai à son amour-propre ; il avait sans doute été piqué de la présomption

  1. Cet endroit paraissait être la partie la plus difficile de la montagne. On était obligé de se tenir sur la crête de l’arête ou tout près ; au point où nous nous étions arrêtés (point qui était presque aussi élevé que la partie la plus haute de la « Cravate » et peut-être à 30 mètres au-dessus du point que j’avais escaladé le 19), se dressaient dans toutes les directions des murs hauts de 2 mètres environ, polis comme une glace, impraticables pour un homme seul, et qu’on ne pouvait franchir qu’à l’aide d’échelles ou en se servant de ses compagnons en guise d’échelle.