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ESCALADES DANS LES ALPES.

Almer est un homme d’un naturel fort calme. En marche, il est très-taciturne, et c’est une de ses grandes qualités. Un guide bavard est toujours fort ennuyeux, et peut même devenir une cause de danger, car, dans les montagnes, la moindre distraction peut coûter cher. En outre, un bavard est un obstacle véritable, car il est toujours altéré, et le guide qui boit est une véritable calamité.

Les guides-itinéraires recommandent aux touristes qui parcourent des montagnes de sucer des cailloux pour empêcher leur gorge de trop se dessécher. Les cailloux ne valent pas grand’chose par eux-mêmes ; mais on ne peut les sucer et en même temps tenir la bouche ouverte ; voilà pourquoi la gorge ne se dessèche pas. Mieux vaut donc garder tout simplement la bouche fermée, car on peut l’ouvrir sans risquer d’avaler quelques petits cailloux[1]. Règle générale, les simples amateurs, et les novices surtout, n’ont jamais la bouche fermée. Ils prétendent forcer le pas, ils marchent plus vite qu’on ne peut marcher sans être obligé d’ouvrir la bouche pour respirer ; ils deviennent tout haletants ; leur langue et leur gorge se dessèchent ; ils boivent et transpirent outre mesure ; quand ils sont exténués, ils s’en prennent à la sécheresse et à la raréfaction de l’air. En résumé, le vrai montagnard fera toujours bien de garder le silence pendant ses expéditions.

Arrivés au sommet du petit couloir, nous traversâmes les rochers intermédiaires qui le séparaient du grand couloir que nous suivîmes tant que nous y trouvâmes de la neige ; quand la glace remplaça la neige, nous retournâmes à gauche sur les rochers. On n’en saurait trouver de plus favorables ; c’était une espèce de granit[2] dont le grain retenait parfaitement les clous.

  1. Dernièrement, deux touristes, bien connus dans les montagnes, avalèrent, sous le coup d’une alarme subite, leurs cristaux. Heureusement ils purent s’en débarrasser en toussant.
  2. Des échantillons, pris au sommet de l’Aiguille Verte, n’ont rien qui les distingue du granit. La nature de la roche est identique à celle du sommet du Mont-Dolent ; c’est probablement un gneiss granitoïde.