Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/384

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
376
ESCALADES DANS LES ALPES.

La journée du 8 fut absorbée par les préparatifs ; le temps était orageux, de sombres vapeurs et des nuages chargés de pluie nous dérobaient la vue du Cervin. Un jeune homme, qui arriva de Val Tournanche dans la soirée, nous raconta qu’il s’y trouvait un Anglais fort malade. C’était une occasion d’accomplir mon vœu (V. chap. V).

Le dimanche matin, 9, je descendis la vallée pour aller visiter ce malade. Je rencontrai en chemin un touriste étranger, suivi d’un mulet et de plusieurs porteurs chargés de bagages. Parmi ces hommes, étaient Jean-Antoine et César, qui portaient des baromètres. « Hé ! hé ! leur dis-je, que faites-vous donc là ? » L’étranger, me répondirent-ils, était arrivé au moment de leur départ, et ils donnaient un coup de main à ses porteurs. « Bien, bien, repris-je, allez au Breuil, vous m’y attendrez ; nous partirons à minuit, comme c’est convenu. » Mais Jean-Antoine répondit qu’il ne pourrait m’accompagner que jusqu’au mardi 11, parce qu’il s’était engagé pour un voyage dans la vallée d’Aoste, « avec une famille de distinction. » — « Et César ? » — « Et César aussi. » — « Pourquoi ne m’avez-vous pas dit cela plus tôt ? » — « Parce que ce n’était pas décidé, répondit-il. J’étais retenu depuis longtemps, mais le jour n’était pas fixé. Vendredi soir, quand je suis retourné à Val Tournanche, après vous avoir quitté, j’ai trouvé une lettre qui m’indiquait le jour où je devais me tenir prêt. » Je n’avais rien à répondre ; mais l’idée d’être abandonné était singulièrement irritante. Ils continuèrent à remonter la vallée, et moi à la descendre.

Le voyageur malade me déclara qu’il se sentait mieux ; cependant, une syncope fut le résultat de l’effort qu’il fit pour me le dire. Un médicament lui était absolument nécessaire ; je descendis au plus vite à Châtillon pour le chercher. Le temps était affreux, et la pluie tombait à torrents quand je revins à Val Tournanche, assez tard dans la soirée. Quelqu’un passa près de moi sous le porche de l’église. « Qui vive ? » m’écriai-je. « Jean-Antoine, » répondit-on. « Je vous croyais au Breuil ! » — « Non, monsieur, quand l’orage a éclaté, j’ai bien vu que nous ne pourrions pas partir ce soir, et je suis venu passer la nuit