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CHAPITRE II.

l’Auvergne. Notre panorama s’étendait ainsi à plus de 160 kilomètres, dans toutes les directions. Ce ne fut pas sans peine que nous parvînmes à détacher notre attention des points les plus éloignés pour regarder ceux dont nous nous trouvions le plus rapprochés. Mont-Dauphin était parfaitement visible, mais nous eûmes quelque peine à découvrir la Bessée. Aucune autre habitation humaine ne pouvait être aperçue ; tout était roc, neige ou glace. Bien que nous sussions à l’avance qu’ils étaient fort grands, les champs de neige du Dauphiné nous offraient une étendue qui surpassait encore toutes les prévisions de l’imagination la plus ardente.

Immédiatement au sud de Château-Queyras, presque entre nous et le Viso, s’élevait un beau groupe de montagnes d’une grande hauteur. Un peu plus vers le sud un pic inconnu semblait encore plus élevé ; et nous étions étonnés de découvrir près de nous une autre montagne qui paraissait plus haute encore que celle dont nous foulions aux pieds le sommet, telle était du moins mon opinion ; Macdonald ne croyait pas cette montagne aussi élevée que le Pelvoux, et Reynaud pensait qu’elle avait à peu près la même altitude.

Cette montagne n’était guère qu’à 3 kilomètres de distance et un abîme effroyable, dont nous ne pouvions apercevoir le fond, nous en séparait. De l’autre côté de l’abîme se dressait un grand pic aux flancs pareils à des murailles, trop escarpé pour que la neige pût y séjourner, noir comme la nuit, hérissé de vives arêtes et terminé par un sommet aigu. Nous ignorions complétement quelle était cette montagne, n’ayant jamais voyagé de ce côté. Dans notre opinion, la Bérarde se trouvait au fond de l’abîme qui s’ouvrait à nos pieds, mais elle était en réalité au delà de l’autre montagne[1].

Nous quittâmes enfin le sommet pour redescendre aux rochers vers notre porteur. Je fis bouillir de l’eau pour le thé avec la neige fondue. Après avoir bu notre thé et fumé nos cigares

  1. Cette montagne est le point culminant du groupe, et la carte française lui donne le nom de la Pointe des Écrins. On la voit du Val Christophe, et de cette direction ses crêtes cachent complétement le mont Pelvoux. Mais de l’autre