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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/204

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LE PORTRAIT

Une autre chape était en velours vert, brochée de feuilles d’acanthe cordées où se rattachaient de blanches fleurs à longue tige ; les détails en étaient traités au fil d’argent et des cristaux colorés s’y rencontraient ; une tête de Séraphin y figurait, travaillée au fil d’or ; les orfrois étaient diaprés de soies rouges et or, et parsemés de médaillons de plusieurs saints et martyrs, parmi lesquels Saint-Sébastien.

Il avait aussi des chasubles de soie couleur d’ambre, des brocards d’or et de soie bleue, des damas de soie jaune, des étoffes d’or, où était figurée la Passion et la Crucifixion, brodées de lions, de paons et d’autres emblèmes ; des dalmatiques de satin blanc, et de damas de soie rosée, décorées de tulipes, de dauphins et de fleurs de lys ; des nappes d’autel de velours écarlate et de lin bleu ; des corporaux, des voiles de calice, des manipules… Quelque chose aiguisait son imagination de penser aux usages mystiques à quoi tout cela avait répondu.

Car ces trésors, toutes ces choses qu’il collectionnait dans son habitation ravissante, lui étaient un moyen d’oubli, lui étaient une manière d’échapper, pour un temps, à certaines terreurs qu’il ne pouvait supporter.

Sur les murs de la solitaire chambre verrouillée où toute son enfance s’était passée, il avait pendu de ses mains, le terrible portrait dont les traits changeants lui démontraient la dégradation réelle de sa vie, et devant il avait posé en guise de rideau un pallium de pourpre et d’or.

Pendant des semaines, il ne la visitait, tâchait d’oublier la hideuse chose peinte, et recouvrant sa légèreté de cœur, sa joie insouciante, se replongeait passionnément dans l’existence. Puis, quelque nuit, il se glis-