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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/237

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DE DORIAN GRAY

lettres. Il en mit une dans sa poche et tendit l’autre au valet :

— Portez ceci 152, Hertford Street, Francis, et si M. Campbell est absent de Londres, demandez son adresse.

Dès qu’il fut seul, il alluma une cigarette et se mit à faire des croquis sur une feuille de papier, dessinant des fleurs, des motifs d’architecture, puis des figures humaines. Il remarqua tout à coup que chaque figure qu’il avait tracée avait une fantastique ressemblance avec Basil Hallward. Il tressaillit et se levant, alla à sa bibliothèque où il prit un volume au hasard. Il était déterminé à ne pas penser aux derniers événements tant que cela ne deviendrait pas absolument nécessaire.

Une fois allongé sur le divan, il regarda le titre du livre. C’était une édition Charpentier sur Japon des « Émaux et Camées » de Gautier, ornée d’une eau-forte de Jacquemart. La reliure était de cuir jaune citron, estampée d’un treillis d’or et d’un semis de grenades ; ce livre lui avait été offert par Adrien Singleton. Comme il tournait les pages, ses yeux tombèrent sur le poème de la main de Lacenaire, la main froide et jaune « du supplice encore mal lavée » aux poils roux et aux « doigts de faune ». Il regarda ses propres doigts blancs et fuselés et frissonna légèrement malgré lui… Il continua à feuilleter le volume et s’arrêta à ces délicieuses stances sur Venise :


Sur une gamme chromatique.
Le sein de perles ruisselant,
La Vénus de l’Adriatique
Sort de l’eau son corps rosé et blanc.