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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/255

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DE DORIAN GRAY

chent tôt ayant si peu à penser. Il n’y a pas eu le moindre scandale dans tout le voisinage depuis le temps de la Reine Elizabeth, aussi s’endorment-ils tous après dîner. Il ne faut pas aller vous asseoir près d’eux. Vous resterez près de moi et vous me distrairez…

Dorian murmura un compliment aimable et regarda autour de lui. C’était certainement une fastidieuse réunion. Deux personnages lui étaient inconnus et les autres étaient : Ernest Harrowden, un de ces médiocres entre deux âges, si communs dans les clubs de Londres, qui n’ont pas d’ennemis, mais qui n’en sont pas moins détestés de leurs amis ; Lady Ruxton, une femme de quarante-sept ans, à la toilette tapageuse, au nez recourbé, qui essayait toujours de se trouver compromise, mais était si parfaitement banale qu’à son grand désappointement, personne n’eut jamais voulu croire à aucune médisance sur son compte ; Mme Erlynne, personne aux cheveux roux vénitiens, très réservée, affectée d’un délicieux bégaiement ; Lady Alice Chapman, la fille de l’hôtesse, triste et mal fagotée, lotie d’une de ces banales figures britanniques qu’on ne se rappelle jamais ; et enfin son mari, un être aux joues rouges, aux favoris blancs, qui, comme beaucoup de ceux de son espèce, pensait qu’une excessive jovialité pouvait suppléer au manque absolu d’idées…

Dorian regrettait presque d’être venu, lorsque lady Narborough regardant la grande pendule qui étalait sur la cheminée drapée de mauve ses volutes prétentieuses de bronze doré, s’écria :

— Comme c’est mal à Henry Wotton d’être si en retard ! J’ai envoyé ce matin chez lui à tout hasard et il m’a promis de ne pas nous manquer.

Ce lui fut une consolation de savoir qu’Harry allait