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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/261

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DE DORIAN GRAY

la Pensée. La stupidité héréditaire de la race — qu’il dénommait jovialement le bon sens anglais — était, comme il le démontrait, le vrai rempart de la Société.

Un sourire vint aux lèvres de lord Henry qui se retourna vers Dorian.

— Êtes-vous mieux, cher ami ? demanda-t-il… vous paraissiez mal à votre aise à table ?

— Je suis très bien, Harry, un peu fatigué, voilà tout.

— Vous fûtes charmant hier soir. La petite duchesse est tout à fait folle de vous. Elle m’a dit qu’elle irait à Selby.

— Elle m’a promis de venir le vingt.

— Est-ce que Monmouth y sera aussi ?

— Oh ! oui, Harry…

— Il m’ennuie terriblement, presque autant qu’il ennuie la duchesse. Elle est très intelligente, trop intelligente pour une femme. Elle manque de ce charme indéfinissable des faibles. Ce sont les pieds d’argile qui rendent précieux l’or de la statue. Ses pieds sont fort jolis, mais ils ne sont pas d’argile ; des pieds de porcelaine blanche, si vous voulez. Ils ont passé au feu et ce que le feu ne détruit pas, il le durcit. Elle a eu des aventures…

— Depuis quand est-elle mariée ? demanda Dorian.

— Depuis une éternité, m’a-t-elle dit. Je crois, d’après l’armorial, que ce doit être depuis dix ans, mais dix ans avec Monmouth peuvent compter pour une éternité. Qui viendra encore ?

— Oh ! les Willoughbys, Lord Rugby et sa femme, notre hôtesse, Geoffrey Clouston, les habitués… J’ai invité Lord Grotrian.

— Il me plaît, dit lord Henry. Il ne plaît pas à tout le monde, mais je le trouve charmant. Il expie sa