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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/315

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XX


Il faisait une nuit délicieuse, si douce, qu’il jeta son pardessus sur son bras, et ne mit même pas son foulard autour de son cou. Comme il se dirigeait vers la maison, fumant sa cigarette, deux jeunes gens en tenue de soirée passèrent près de lui. Il entendit l’un d’eux souffler à l’autre : « C’est Dorian Gray !… » Il se remémora sa joie de jadis alors que les gens se le désignaient, le regardaient, ou se parlaient de lui. Il était fatigué, maintenant, d’entendre prononcer son nom. La moitié du charme qu’il trouvait au petit village où il avait été si souvent dernièrement, venait de ce que personne ne l’y connaissait.

Il avait souvent dit à la jeune fille dont il s’était fait aimer qu’il était pauvre, et elle l’avait cru ; une fois, il lui avait dit qu’il était méchant ; elle s’était mise à rire, et lui avait répondu que les méchants étaient toujours très vieux et très laids. Quel joli rire elle avait. On eût dit la chanson d’une grive !… Comme elle était gracieuse dans ses robes de cotonnade et ses grands chapeaux. Elle ne savait rien de la vie, mais elle possédait tout ce que lui avait perdu…