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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/43

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DE DORIAN GRAY

Ils se levèrent et paresseusement, marchèrent le long du mur. Deux papillons verts et blancs voltigeaient devant eux, et dans un poirier situé au coin du mur, une grive se mit à chanter.

— Vous êtes content, M. Gray, de m’avoir rencontré ?… demanda lord Henry le regardant.

— Oui, j’en suis content, maintenant ; j’imagine que je le serai toujours !…

— Toujours !… C’est un mot terrible qui me fait frémir quand je l’entends : les femmes l’emploient tellement. Elles abîment tous les romans en essayant de les faire s’éterniser. C’est un mot sans signification, désormais. La seule différence qui existe entre un caprice et une éternelle passion est que le caprice… dure plus longtemps…

Comme ils entraient dans l’atelier, Dorian Gray mit sa main sur le bras de lord Harry :

— Dans ce cas, que notre amitié ne soit qu’un caprice, murmura-t-il, rougissant de sa propre audace…

Il monta sur la plate-forme et reprit sa pose…

Lord Harry s’était étendu dans un large fauteuil d’osier et l’observait… Le va et vient du pinceau sur la toile et les allées et venues de Hallward se reculant pour juger de l’effet, brisaient seuls le silence… Dans les rayons obliques venant de la porte entr’ouverte, une poussière dorée dansait. La senteur lourde des roses semblait peser sur toute chose.

Au bout d’un quart d’heure, Hallward s’arrêta de travailler, en regardant alternativement longtemps Dorian Gray et le portrait, mordillant le bout de l’un de ses gros pinceaux, les sourcils crispés…

— Fini ! cria-t-il, et se baissant, il écrivit son nom en