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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/47

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DE DORIAN GRAY

vous peint cela ? Quelle ironie, un jour ! Quelle terrible ironie !

Des larmes brûlantes emplissaient ses yeux… Il se tordait les mains. Soudain il se précipita sur le divan et ensevelit sa face dans les coussins, à genoux comme s’il priait…

— Voilà votre œuvre, Harry, dit le peintre amèrement.

Lord Henry leva les épaules.

— Voilà le vrai Dorian Gray vous voulez dire !…

— Ce n’est pas…

— Si ce n’est pas, comment cela me regarde-t-il alors ?…

— Vous auriez dû vous en aller quand je vous le demandais, souffla-t-il.

— Je suis resté parce que vous me l’avez demandé, riposta lord Henry.

— Harry, je ne veux pas me quereller maintenant avec mes deux meilleurs amis, mais par votre faute à tous les deux, vous me faites détester ce que j’ai jamais fait de mieux et je vais l’anéantir. Qu’est-ce après tout qu’une toile et des couleurs ? Je ne veux point que ceci puisse abîmer nos trois vies.

Dorian Gray leva sa tête dorée de l’amas des coussins et, sa face pâle baignée de larmes, il regarda le peintre marchant vers une table située sous les grands rideaux de la fenêtre. Qu’allait-il faire ? Ses doigts, parmi le fouillis des tubes d’étain et des pinceaux secs, cherchaient quelque chose… Cette lame mince d’acier flexible, le couteau à palette… Il l’avait trouvée ! Il allait anéantir la toile…

Suffoquant de sanglots, le jeune homme bondit du divan, et se précipitant vers Hallward, arracha le cou-