Aller au contenu

Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
LE PORTRAIT

lui elle avait de l’autre côté lord Faudel, médiocrité intelligente et entre deux âges, aussi chauve qu’un exposé ministériel à la Chambre des Communes, avec qui elle conversait de cette façon intensément sérieuse qui est, il l’avait souvent remarqué, l’impardonnable erreur où tombent les gens excellents et à laquelle aucun d’eux ne peut échapper.

— Nous parlions de ce jeune Dartmoor, lord Henry, s’écria la duchesse, lui faisant gaiement des signes par-dessus la table. Pensez-vous qu’il épousera réellement cette séduisante jeune personne ?

— Je pense qu’elle a bien l’intention de le lui proposer, Duchesse.

— Quelle horreur ! s’exclama lady Agathe, mais quelqu’un interviendra.

— Je sais de bonne source que son père tient un magasin de nouveautés en Amérique, dit sir Thomas Burdon avec dédain.

— Mon oncle les croyait marchand de cochons, sir Thomas.

— Des nouveautés ! Qu’est-ce que c’est que les nouveautés américaines ? demanda la duchesse, avec un geste d’étonnement de sa grosse main levée.

— Des romans américains ! répondit lord Henry en prenant un peu de caille.

La duchesse parut embarrassée.

— Ne faites pas attention à lui, ma chère, murmura lady Agathe, il ne sait jamais ce qu’il dit.

— Quand l’Amérique fût découverte…, dit le radical, et il commença une fastidieuse dissertation.

Comme tous ceux qui essayent d’épuiser un sujet, il épuisait ses auditeurs. La duchesse soupira et profita de son droit d’interrompre.