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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/104

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tre le froid et le chaud ? — Assurément. — Ainsi celui qui veut commander doit s’exercer à supporter sans peine l’un et l’autre ? — Sans aucun doute. — Si donc nous rangeons parmi les hommes capables de commander ceux qui supportent toutes ces incommodités avec constance, ne devons-nous pas ranger les gens incapables de le faire parmi ceux qui ne peuvent commander ? — J’en conviens. — Eh bien, puisque tu connais la place que mérite chacune de ces deux classes d’hommes, as-tu déjà examiné quelle est celle que tu pourrais prendre exactement ? — Pour moi, dit Aristippe, je suis loin de me ranger parmi ceux qui veulent commander. Il me semble qu’il est tout à fait d’un insensé, quand c’est déjà pour lui une grande affaire de pourvoir à ses besoins, de ne pas se contenter de cela, mais de s’imposer encore la charge de pourvoir à ceux de ses concitoyens. Se refuser à soi-même tant de choses qu’on désire, et se mettre à la tête de l’État, pour se voir ensuite appelé en justice, parce qu’on n’aura pas fait tout ce que veut la cité, n’est-ce pas là le comble de la folie ? Car enfin les cités prétendent se servir de leurs gouvernants, comme moi de mes esclaves. Moi, je veux que mes esclaves me préparent en abondance tout ce qui m’est nécessaire, mais qu’ils ne touchent à rien ; et les cités croient que les gouvernants doivent leur procurer toutes sortes de biens, dont ils s’abstiendront eux-mêmes. Ceux donc qui veulent se donner beaucoup de peine et en causer aux autres, je les formerai comme nous l’avons dit, et je les rangerai parmi les gens propres à commander ; mais, pour moi, je me range parmi ceux dont le désir est de mener la vie la plus douce et la plus agréable. » Alors Socrate : « Veux-tu donc que nous examinions qui mène la vie la plus agréable, des gouvernants ou des gouvernés ? — Volontiers, répondit Aristippe. — Et d’abord, parmi les peuples que nous connaissons, en Asie, les Perses commandent, les Syriens, les Phrygiens et les Lydiens obéissent ; en Europe, les Scythes commandent, les Méotes[1] leur sont soumis ; en Libye, les Carthaginois gouvernent, les Libyens sont gouvernés. De ces peuples, lesquels crois-tu vivre le plus agréablement ? Et chez les Grecs, parmi lesquels tu te trouves, quels sont ceux qui te paraissent mener la vie la plus agréable, ceux qui commandent ou ceux qui obéissent ? — Mais moi, dit Aristippe, je n’entends

  1. Peuples voisins du Palus-Méotis ou mer d’Azof.