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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/132

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cuper tranquillement de ses affaires. « Aujourd’hui, disait-il, il y a des gens qui m’intentent des procès, non parce que je leur fais du tort, mais parce qu’ils se figurent que j’aimerai mieux donner de l’argent que de me créer des embarras. » Alors Socrate : « Dis-moi, Criton, répondit-il, tu nourris des chiens pour écarter les loups de tes brebis ? — Certainement, je trouve plus d’avantage à en nourrir qu’à n’en point avoir. — Ne consentirais-tu donc pas à nourrir aussi un homme qui voulût et qui pût écarter de toi ceux qui essayent de te nuire ? — Volontiers, si je ne craignais qu’il ne se tournât aussi contre moi. — Eh quoi ! ne vois-tu pas qu’il y a plus d’agrément et de profit à servir un homme tel que toi qu’à s’en faire un ennemi ? Sache bien qu’il y a ici nombre de ces hommes qui ambitionneraient de t’avoir pour ami. »

À la suite de cet entretien, ils trouvent Archédème[1], citoyen capable de penser et d’agir, mais pauvre. Ce n’était pas, en effet, un homme à tirer parti de tout ; il aimait le bien et il avait l’âme trop haute pour se laisser corrompre par l’argent des sycophantes[2]. Dès lors, toutes les fois que Criton rapportait du blé, de l’huile, du vin, de la laine ou quelque provision des choses nécessaires que fournit la campagne, il en donnait une partie à Archédème ; lorsqu’il offrait un sacrifice, il l’invitait, et ne le négligeait en aucune de ces rencontres. Aussi Archédème, qui regardait la maison de Criton comme un refuge assuré, s’attacha complétement à lui. Il eut bientôt découvert que les sycophantes qui poursuivaient Criton, étaient chargés de crimes et avaient de nombreux ennemis : il en appela un en justice, par devant le peuple, pour être condamné à une punition corporelle ou à une amende. Cet homme, qui avait la conscience de ses méfaits, mit tout en œuvre pour se débarrasser d’Archédème ; mais Archédème ne le lâcha point qu’il n’eût laissé Criton en paix, et qu’il ne lui eût donné à lui-même quelque argent.

Archédème se conduisit de la même manière dans plusieurs circonstances semblables : alors, comme il arrive que, quand un berger a un bon chien, les autres bergers s’empressent de placer auprès de lui leurs troupeaux, pour profiter aussi de ce chien ; ainsi les amis de Criton le prièrent de les mettre comme

  1. Un des plus puissants démagogues d’Athènes.
  2. Pour ce passage controversé, j’ai suivi rigoureusement le texte de Weiske.