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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/165

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prends-le moi, Socrate, si tu en sais quelqu’un. — C’est qu’une armure qui va bien écrase moins que celle qui va mal, en les supposant du même poids ; car celle qui va mal, soit parce qu’elle pend tout entière des épaules, soit parce qu’elle presse fortement quelque autre partie du corps, devient incommode et difficile à porter, tandis que celle qui va bien, répartissant la charge sur les clavicules, les épaules, la poitrine, le dos et l’estomac, n’est plus, pour ainsi dire, un fardeau, mais une dépendance du corps lui-même. — Tu viens de dire justement pourquoi je mets un si grand prix à mes ouvrages : néanmoins, je sais que bien des gens aiment mieux acheter des cuirasses peintes ou dorées. — S’ils achètent des cuirasses qui ne leur vont pas, je crois qu’ils achètent là une incommodité peinte ou dorée. Mais comme le corps n’est pas toujours immobile, que tantôt il se baisse et tantôt se redresse, comment des cuirasses trop justes peuvent-elles bien aller ? — Elles ne le peuvent pas. — Tu dis donc que des cuirasses qui vont bien ne sont pas celles qui sont justes, mais celles qui ne gênent pas au besoin ? — C’est ce que je dis, Socrate, et tu as bien saisi. »


CHAPITRE XI.


Conversation avec la courtisane Théodote[1].


Il y avait alors dans la ville une belle femme, nommée Théodote, toute prête à suivre qui savait la convaincre. Un jour quelqu’un parlait d’elle et disait qu’il n’y avait pas de paroles capables d’exprimer la beauté de cette femme, que les peintres

  1. Ne nous étonnons pas de voir Socrate dans le boudoir d’une courtisane. Outre qu’il n’y perd rien de sa dignité et de sa gravité philosophiques, il obéit à un entraînement de vogue que de Pauw a parfaitement apprécié dans ses Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, p. 123 et suivantes : « Jamais, chez aucun peuple du monde, les belles femmes n’excitèrent plus d’enthousiasme que chez les Grecs. Dès qu’il en paraissait une, ce qui arrivait à la vérité fort rarement, aussitôt son nom était répété de bouche en bouche, depuis les extrémités du Péloponèse jusqu’aux confins de la Macédoine ; d’où il résultait dans les esprits une fermentation semblable à une flamme contagieuse. Les épouses les plus tendres ne pouvaient plus retenir leurs maris, et les mères les plus impérieuses ne pouvaient plus arrêter leurs enfants. Enfin on vit toute la nation aux pieds de Laïs et toute