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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/191

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crate qui s’entretenait avec quelques disciples sur l’étrangeté de ce fait que, si l’on veut faire de quelqu’un un cordonnier, un maçon, un forgeron, un écuyer, on n’hésite point à l’envoyer auprès d’un maître capable de l’instruire : on dit même qu’on trouve partout des hommes qui ont juste ce qu’il faut pour se charger de dresser un cheval ou un bœuf ; mais si quelqu’un veut apprendre la justice, ou la faire apprendre à son fils ou à son esclave, il ne sait où aller pour trouver son affaire. Hippias, qui l’avait écouté, lui dit en se raillant : « Quoi, Socrate, tu répètes ici ce que je t’ai entendu dire il y a déjà longtemps ? » Alors Socrate : « Oui, et ce qu’il y a de plus étrange, Hippias, c’est que, non content de répéter les mêmes paroles, je les répète sur les mêmes sujets ; tandis que toi, peut-être, vu ta grande science, tu ne dis pas toujours les mêmes paroles sur les mêmes choses. — Sans doute, je tâche toujours de dire du nouveau. — Est-ce que, si l’on t’interroge sur ce que tu sais, par exemple sur les lettres, et qu’on te demande combien il y en a dans le nom de Socrate et quelles elles sont, tu cherches à répondre aujourd’hui autrement qu’autrefois ? Si l’on te demande, à propos d’arithmétique, si deux fois cinq font dix, ne réponds-tu pas aujourd’hui ce que tu as répondu naguère ? — Sur ces questions, Socrate, je fais comme toi, je réponds toujours de même ; mais sur la justice, je crois pouvoir dire à présent des choses auxquelles ni toi ni personne ne saurait rien objecter. — Par Junon ! tu parles là d’une grande découverte ; ainsi les juges cesseront de diviser leurs suffrages, les citoyens de contester au sujet de leurs droits, de s’intenter des procès, de soulever des séditions : les nations mêmes n’auront plus de querelles au sujet de leurs droits et ne se feront plus la guerre : je ne vois pas trop comment je pourrais te quitter avant que tu m’aies expliqué cette admirable invention. — Oui ; mais, par Jupiter, tu n’en sauras rien, que tu ne m’aies découvert toi-même ce que tu penses sur la justice : il y a assez longtemps que tu te moques des autres, interrogeant et réfutant toujours, sans vouloir jamais rendre de compte à personne, ni exposer sur rien ton opinion. — Comment, Hippias ? n’as-tu pas remarqué que je ne cesse de bien mettre en évidence ce que je crois être le juste ? — Mais enfin, quelles sont les paroles que tu emploies ? — À défaut de la parole, c’est par mes actes que je le mets en évidence ; et ne trouves-tu pas que l’action est plus convaincante que la parole ? — Beaucoup plus, par Jupiter ; car bien des gens disent