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CHAPITRE V.


Funestes effets de l’intempérance ; avantages de la vertu contraire.


Comment Socrate faisait avancer ses disciples dans la pratique du bien, c’est ce que je vais dire maintenant. Persuadé que la tempérance est un bien nécessaire à l’homme qui veut faire quelque chose de beau, il commençait par en montrer en lui-même à ses disciples le modèle le plus parfait ; puis, dans ses entretiens, il les dirigeait vers la tempérance de préférence à toute autre vertu. Sans cesse il se rappelait les procédés qui conduisent à la vertu, et sans cesse il en faisait souvenir tous ceux qui vivaient près de lui. Or, je sais qu’il eut un jour avec Euthydème cet entretien sur la tempérance : « Dis-moi, Euthydème, penses-tu que la liberté soit un bien précieux et honorable pour un particulier et pour un État ? — C’est le plus précieux des biens. — Celui donc qui se laisse dominer par les plaisirs du corps, et qui est mis par là dans l’impuissance de bien faire, le considères-tu comme un homme libre ? — Pas le moins du monde. — Peut-être appelles-tu liberté le pouvoir de bien faire, et servitude la présence d’obstacles qui nous en empêchent ? — Justement. — Justement alors les intempérants te paraîtront esclaves ? — Oui, par Jupiter, et avec raison. — Crois-tu que les intempérants soient seulement empêchés de faire ce qu’il y a de mieux, ou qu’ils soient aussi forcés de faire ce qu’il y a de pis ? — Je les crois tout à la fois poussés au mal et détournés du bien. — Que penses-tu donc de ces maîtres qui empêchent de faire le bien, et qui obligent à faire le mal ? — C’est, par Jupiter, la pire espèce possible. — Et quelle est la pire des servitudes ? — Selon moi, celle qui nous soumet aux pires des maîtres. — Ainsi les intempérants subissent la pire des servitudes ? — C’est mon avis. — La sagesse, qui est le plus grand des biens, les hommes n’en sont-ils pas détournés par l’intempérance, qui les précipite dans une direction opposée ? Ne te semble-t-il pas qu’elle les empêche de s’appliquer à l’étude des connaissances utiles, en les entraînant vers les plaisirs, et que souvent, alors même qu’ils discernent le bien du mal, l’impression qu’elle cause leur fait choisir le pire au lieu du meilleur ? — Cela est vrai. — Pour la prudence, Eu-