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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/217

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ton propre usage et pour le commerce ? — Tu veux, Socrate, que je me fasse dresseur de poulains[1] ? — Non, par Jupiter ! pas plus que je ne veux que tu formes des cultivateurs en les achetant tout petits. Mais je crois qu’il y a, pour les chevaux et pour les hommes, un certain âge où l’on peut déjà s’en servir et où chaque jour les rend meilleurs. Je puis aussi te citer des maris qui en usent avec leurs femmes de manière à s’en faire d’utiles auxiliaires pour la prospérité de leur maison, tandis que pour d’autres elles sont une cause essentielle de ruine. — Et qui faut-il en accuser, Socrate, de l’homme ou de la femme ? — Quand un troupeau est tout à fait en mauvais état, reprit Socrate, nous en accusons le berger ; lorsqu’un cheval est très-méchant, c’est au cavalier qu’on s’en prend. À l’égard d’une femme, si, malgré la bonne direction de son mari, elle se conduit mal, peut-être a-t-on raison de n’en accuser qu’elle ; mais si le mari la laisse ignorer le bien et le beau, et qu’il l’emploie malgré son ignorance, n’est-il pas juste de rendre le mari responsable ? Allons, Critobule, nous sommes ici tous amis ; parle-nous bien franchement ; est-il quelqu’un qui entre plus intimement dans tes affaires que ta femme ? — Personne. — Cependant, y a-t-il des gens avec qui tu converses moins qu’avec elle ? — Il n’y en a guère. — Quand tu l’as épousée, n’était-ce pas une véritable enfant, qui n’avait, en quelque sorte, rien vu, rien entendu ? — C’est cela. — Ce serait donc une chose beaucoup plus étonnante si elle savait rien de ce qu’il faut dire ou faire, que si elle se conduisait mal. — Mais ces maris que tu dis avoir de bonnes femmes, est-ce qu’ils les ont élevées eux-mêmes ? — Rien de mieux que d’examiner ce point ; aussi, je te présenterai à Aspasie[2] qui t’instruira de tout cela plus pertinemment que moi. Pour moi, je pense qu’une bonne maîtresse de maison est tout à fait de moitié avec le mari pour le bien commun. C’est le mari le plus souvent qui, par son activité, fait entrer le bien dans le ménage, et c’est la femme qui, presque toujours, est chargée de l’employer aux dépenses : si l’emploi est bien fait, la maison prospère ; l’est-il mal, elle tombe en décadence[3]. »

  1. Il y a ici un jeu de mots intraduisible entre πώλησιν, commerce, et πωλοδαμέω, dompter des poulains.
  2. Voy. Mémoires, II, vi.
  3. Croirait-on ces lignes écrites il y a plus de deux mille ans ? Les conditions sociales du mari et de la femme paraissent-elles avoir changé ?