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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/226

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— Je désire d’autant plus t’entendre, Socrate, que moi-même je souhaite vivement devenir digne de ce titre. — Je te dirai donc, reprit Socrate, comment j’entrai en rapport avec lui. Pour les bons architectes, les bons graveurs, les bons peintres, les statuaires et les autres artistes, j’avais fort peu de temps à donner à leurs visites et à la vue de leurs œuvres jugées belles ; mais considérant ceux qui possèdent le titre respectable de beau et de bon, et me demandant par quel moyen ils avaient été jugés dignes de l’obtenir, le penchant de mon cœur me poussait à nouer une relation avec quelqu’un d’entre eux. Et d’abord, comme le mot beau se joignait au mot bon, dès que je voyais un homme beau, je l’abordais et j’essayais de démêler si je trouverais quelque part en lui le beau en compagnie du bon. Mais il n’en allait point ainsi : je crus découvrir que beaucoup, sous de belles formes, avaient des âmes tout à fait dépravées. Je résolus donc de ne plus faire attention à la beauté du visage, mais d’aller droit à l’un de ceux qu’on appelle beaux et bons ; et comme j’entendais Ischomachus surnommé le beau et le bon par tout le monde, hommes et femmes, étrangers et citoyens, je résolus de faire effort pour lier connaissance avec lui. »



CHAPITRE VII.


Comment Ischomachus est le type de l’homme de bien et du père de famille.


« Un jour donc que je le vis assis sous le portique de Jupiter libérateur et qu’il me parut de loisir, je m’avançai près de lui, et m’asseyant à ses côtés : « Pourquoi, Ischomachus, lui dis-je, contrairement à ton habitude, es-tu assis sans rien faire ? Je te vois presque toujours occupé, et perdant bien peu de temps sur l’agora[1]. — Aussi tu ne me verrais pas là aujourd’hui, Socrate, si je n’étais convenu d’y attendre des étrangers. — Mais quand tu n’attends personne, à quoi donc, au nom des dieux, lui dis-je, passes-tu le temps ? que fais-tu ? Je désire vivement savoir de toi quelle occupation te mérite le nom de beau et de bon ; car tu ne vis pas renfermé chez toi et tu n’as

  1. Le temple de Jupiter libérateur était situé près de l’Agora : il avait deux portiques, l’un qui portait le nom même du dieu, l’autre dit portique royal, parce que les magistrats d’Athènes y venaient rendre la justice.