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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/240

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bois recouvert en métal, de la pourpre en mauvais teint que je te donnerais pour vraie ? » Elle alors reprenant aussitôt : « Pas de mauvaises, de funestes paroles ! puisses-tu ne jamais agir ainsi ! car je ne pourrais plus, si tu faisais cela, t’aimer de toute mon âme. — Eh bien ! femme, lui dis-je, en nous unissant ne nous sommes-nous pas fait un don mutuel de nos corps ? — C’est ce que disent les hommes. — Me jugerais-tu plus digne de tendresse, moi qui vis en commerce charnel avec toi, si je m’efforçais de t’apporter un corps soigné, sain et fortifié par l’exercice, et si par conséquent je t’offrais une belle carnation, ou bien si, frotté de vermillon, avec une teinte d’incarnat sous les yeux, je me présentais à toi pour te faire illusion dans nos embrassements, et te donner à voir et à toucher du vermillon au lieu d’un teint naturel ? — Certes, dit-elle, je n’aimerais pas à toucher du vermillon au lieu de toi-même, ni à voir une teinte fausse d’incarnat au lieu de la tienne, ni trouver une couche de peinture sous tes yeux au lieu de l’éclat de la santé. — Eh bien ! pour ce qui est de moi, répondit Ischomachus, sois assurée, femme, que je ne préfère pas la céruse ni le rouge à ton teint naturel ; mais de même que les dieux ont fait les chevaux pour plaire aux chevaux, les bœufs aux bœufs, les brebis aux brebis, de même ils ont voulu que le corps tout simple de l’homme fût agréable à l’homme. Ces supercheries peuvent bien tromper les gens du dehors, qui ne cherchent rien au delà ; mais quand on vit toujours ensemble, on se trahit néces-

    rent les modes les plus extravagantes, et finirent par faire un abus si révoltant du fard, qu’on n’en a jamais vu d’exemple chez aucune nation civilisée, sans qu’on pût distinguer à cet égard les courtisanes les plus profanes d’avec les matrones les plus respectables, telles que celle dont il est fait mention dans l’Économique de Xénophon. Elles se noircissaient les sourcils et les paupières, se peignaient les joues et les lèvres avec le suc exprimé d’une plante que les botanistes nomment l’orcanette, qui donne un incarnat plus faible que le carmin ; et enfin elles portaient toutes sans distinction une couche de céruse sur le sein et le visage, hormis en temps de deuil ; encore voit-on par un plaidoyer de Lysias que souvent on n’y respectait pas les lois du deuil même. » T. I, 114 et suivantes.

    Et plus loin : « Les femmes, de leur côté, portèrent tous les objets relatifs à leur parure à ce degré outré qui, loin d’augmenter leurs charmes, les éclipsa totalement. Vous n’avez jamais soupçonné, leur disait un philosophe, que le grand éclat des rubis et des émeraudes qu’on attache à vos colliers, efface l’éclat même de vos yeux ; de sorte qu’il vous en coûte beaucoup pour être moins belles, que vous ne le seriez avec des ornements de fleurs cueillies sur le mont Hymette, et dans les bosquets de la Diacrie, où les bergers vous offriraient des guirlandes et des couronnes, qu’on fait sans peine et qu’on donne avec plaisir. » Id., t. I, p. 318.